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Le Tribut de Dana – Nouvelle de Fantasy épique

Des étincelles s’envolent, un souffle puissant alimente les flammes qui rougissent les chairs. Le fer tinte, les lames crissent contre la pierre, les jurons emplissent l’air.

Dana aime l’ambiance de la forge. Elle aime la morsure de cette chaleur, sentir son visage ruisseler de sueur, humer l’odeur du fer chauffé à blanc mêlée de fumée âcre. Et par-dessus tout, elle adore ne rien faire et scruter les corps à demi-nu des forgerons.

Dana aime l’oisiveté et la contemplation passive. Parfois, elle essaie de se convaincre qu’elle aurait aimé être un garçon et devenir l’apprenti de son père, le forgeron. Elle s’imagine alors apprendre son art, travailler le fer pour le modeler à son envie. Créer des outils ou de petits jouets. Créer des armes, surtout, afin que, le Jour venu, son peuple puisse lever le terrible joug qui le maintient à l’état de bêtes traquées. Puis elle se souvient que cela n’en reste pas moins un travail, certes plus intéressant que les travaux d’entretien de la maison que sa mère s’obstine à lui imposer, mais un travail quand même. Alors Dana soupire et rêve d’une vie où elle n’aurait rien à faire.

En parlant du loup maternel, un cri excédé, trop aigu, résonne et parvient à couvrir un instant le boucan du soufflet et des marteaux au travail. Les dents de la jeune fille grincent.

— Dana ! Dana ! Dépêche-toi donc, espèce de laideron fainéant.

L’intéressée jette un dernier regard vers les enclumes et les trois apprentis de son père, puis fait volte-face, son saut plein d’eau, fraîchement puisée, à la main.

— Oui, mère, j’arrive….

Dana a quinze ans révolus et reste sans mari pour l’entretenir. Sa mère, aussi maternelle qu’une punaise, le lui reproche chaque jour. Elle a d’ailleurs décidé – sans prendre la peine de consulter sa fille – que puisque cette dernière continuait à vivre aux crochets de sa famille, elle devait redoubler d’ardeur aux tâches ménagères qu’exècre Dana au plus haut point. Quand elle arrive au pas de la porte de la maison familiale, sa mère, bras croisés, la houspille sans pitié, prenant à témoin les rares passants pour tempêter sur le caractère indolent de Dana. Et sur sa laideur, un péché pire à ses yeux que la fainéantise. Il est vrai qu’avec des yeux vairons, des traits de garçon manqué et des cheveux filasses, les prétendants ne se bousculent pas au portillon de la ferme. Dana laisse passer l’orage…

Elle passe le reste de cette soirée printanière à arroser le potager familial, avec d’incessants allers-retours du puits du village jusqu’au carré de terre nue où croissent déjà salades, carottes, pois et autres courges, le tout ordonné avec minutie et bordé de bouillées de soucis ou d’œillets qui ne tarderont pas à fleurir. Après cette épuisante corvée, Dana s’en va balayer la salle commune de la ferme d’où elle évacue les herbes défraîchies, avant d’en étaler de nouvelles, tout juste fauchées et sentant bon le printemps. Puis elle dresse la table et prépare le repas. Des fèves au lard. Comme la veille, et l’avant-veille, et même encore le jour d’avant. Et tous les autres jours de l’année, d’ailleurs. La monotonie ronge Dana de l’intérieur.

Après le repas, pris en compagnie de ses parents, de ses cinq frères, des ouvriers et des apprentis, la jeune fille est chargée de récurer l’énorme marmite, puis de frotter la planche en bois qui sert de table, de la démonter et de tout ranger. Monotonie, ennui, … Dès qu’elle termine ses corvées, elle profite d’un instant d’absence de sa mère pour sortir et prendre la direction des bois.

Le jour tombe et la vie animale rend le sous-bois bruyant : pépiement des oiseaux, bruissement des lièvres dans les fourrés, grognements des sangliers. Au moins, ici, Dana peut exercer son occupation favorite : ne rien faire. Ce qui exige d’elle de rester loin de sa mère. Elle finit par se poser sur les racines noueuses d’un vieux chêne au tronc creux pour laisser le temps passer et compter les lapins. Alors même que le jour décline et que les ombres s’étirent, elle s’exclame :

— Cinquante lapins !

— Et tu es fière de toi ?

Dana se lève en sursaut avec un glapissement. Cette voix féminine inconnue lui fait tambouriner le cœur et une vague nausée enserre sa poitrine plate.

— Qui est là ?

— Personne.

Le ton est clairement sarcastique. Dana retrouve instantanément ses esprits, et si ses mains tremblent encore un peu, sa colère naissante chasse la frayeur. Encore une peste qui trouve futé de lui faire une farce.

— C’est intelligent, gronde la jeune fille, plus pour faire parler la petite maline qu’autre chose.

— Tu y connais quelque chose en la matière, jeune fille ?

Dana s’indigne et ne s’étonne même pas que la voix se trouve toute proche, comme si… L’adolescente regarde attentivement le creux du vieux chêne dont la voix semble provenir.

— Qui êtes-vous ?

La voix s’élève de nouveau et, bingo ! La personne est cachée dans l’arbre.

— En quoi cela te regarde-t-il ?

Agacée, la jeune fille plonge le bras dans le trou et lorsque sa main touche un objet froid et dur, elle l’empoigne et l’arrache au chêne. Prise par l’inertie du mouvement, son bras fait un arc de cercle et lâche un quelque chose qui heurte un châtaignier, quelques pas plus loin

— Aïe !

Les yeux écarquillés, Dana regarde le quelque chose. C’est une épée, lame plantée dans l’écorce. La poignée, dorée et très ouvragée, vibre encore, et la lame semble de bonne facture, quoiqu’elle compte trois ébréchures. La première arme réelle que Dana voit de sa vie et si le Dragon découvre son existence… La jeune fille en frémit d’horreur. Un disque d’acier a été rapporté près de la garde de l’épée, il y figure un visage de femme, ciselé avec beaucoup de finesse. Une femme belle et fière, dont les traits s’animent soudain avec indignation :

— Pas besoin de me rudoyer ainsi !

Dana se fige comme un lapin devant le renard. Une dizaine de secondes s’écoulent en silence, égrenées par les battements de cœur trop rapides de Dana.

— Tu comptes me laisser plantée là encore longtemps ? demande sèchement l’épée. Bouge-toi les fesses, le laideron !

Malgré sa terreur, l’indignation effleure de nouveau l’adolescente. Elle s’apprête à invectiver l’épée quand elle réalise sa propre stupidité. A la place, elle demande, avec toute la politesse qu’elle peut simuler :

— Tu es une épée magique ?

— Non, je suis un chaton volant.

La jeune fille grince des dents et garde le silence, le temps de laisser sa colère naissante refluer. Puis elle s’approche de l’arme et l’observe.

— Tu es de belle facture, lâche-t-elle à voix haute.

— Merci. Ce n’est pas ton cas.

Il vient à l’esprit de Dana qu’elle pourrait jeter cette peste métallique dans le haut-fourneau de son père. Elle pourrait voir si la magie l’empêche de fondre.

— Qui es-tu, en fait ? questionne la jeune fille, décidée à ne pas s’emporter après une bête épée.

— Ah tout de même, enfin une question digne d’intérêt. Je suis Gloire, la légendaire épée de Cent.

— L’épée de sang ? Plantée dans ton arbre, tu penses pouvoir faire couler la moindre goutte de sang ?

Dana prend un certain plaisir sadique à voir le visage ciselé prendre un air contrarié.

— Pas de sang. Cent. C-E-N-T. Tout homme armée de l’épée de Cent obtient la force de cent hommes, pendant cent secondes, cent jours par an durant cent années.

— Ça marche aussi avec les femmes ?

— Aurais-je fini par aiguiser ta curiosité, ma chère Dana ?

— Je… Comment connais-tu mon nom ?

— Je suis une épée magique, n’oublie pas. Bon, j’admets, il y a aussi cette voix hystérique qui scande « Dana » depuis près de cinq minutes. Elle va finir par faire une attaque…

L’adolescente tend l’oreille. Sa mère l’appelle d’un rugissement qui part dans les graves pour tendre vers des hauteurs que tout soprano aurait enviées.

— Je reviendrai te chercher plus tard… fait Dana.

Sans écouter les plaintes de Gloire, la jeune fille l’arrache au tronc et la cache dans le creux du vieux chêne, avant de se précipiter à la ferme. Elle y supporte stoïquement les réprimandes tout en abreuvant et nourrissant les bêtes au poulailler, puis en préparant la pâte à pain à mener au fournier le lendemain matin. Sa mère ne lui laisse pas un instant de répit, sans pour autant mettre la main à l’ouvrage. A aucun moment les pensées de Dana ne quittent l’épée qui attend dans le bois, et elle s’acquitte de ses travaux de façon tout à fait mécanique. Ce qui lui vaut de nouvelles remarques acerbes. La jeune fille se demande un instant si le vœu secret de sa mère n’est pas de la voir Choisie par le conseil du village pour être donnée en pâture au Dragon. C’est fourbue que Dana se couche dans sa paillasse, et pourtant, le sommeil tarde à la gagner.

***

Avant même l’aube, Dana se réveille brusquement. Aussitôt, ses pensées se tournent vers l’épée Gloire. Sans faire de bruit, pour ne pas réveiller les dormeurs qui ronflent allègrement dans la pièce commune, la jeune fille se faufile à l’extérieur et se rend dans le bois. Se fiant à sa connaissance intime des lieux, elle avance dans les ténèbres en tâchant de ne pas se cogner les orteils. A tâtons, elle retrouve le chêne creux et en sort l’arme magique. Une voix étouffée, inquiète, s’en élève :

— Qui est là ?

— C’est moi, Dana.

Le soleil commence à poindre à l’horizon et le chant des coqs tourne dans le village. La jeune fille doit faire vite pour tester Gloire. Si quelqu’un l’aperçoit avec une arme en main, elle sera la prochaine victime du Dragon, à n’en pas douter.

— C’est pas trop tôt, rétorque l’arme.

— Tais-toi, idiote. Je me demande bien pourquoi je suis revenue te chercher…

— Tu recherches peut-être la gloire ? Je peux te l’apporter, c’est pour cela que je porte ce nom. Songes-y. Gloire…

— Tu connais les Dragons ?

— Vous vivez toujours sous la peur de ces infâmes créatures ? Je pensais qu’avec le temps, vous auriez trouvé moyen de vous en débarrasser…

— Réponds à ma question.

— Oui. Et grâce à moi, tu pourrais les chasser. Ton peuple t’acclamerait, tu deviendrais même la Reine, avec quelques beaux discours que je pourrais te souffler. J’ai une certaine habitude de ces choses-là.

— Alors que faisais-tu, perdue au fond d’un vieux chêne ?

Dana voit que sa remarque fait mouche, au voile de contrariété qui passe sur le beau visage de l’épée.

— Petite erreur de parcours, ma chère Dana. Maintenant, c’est à toi de voir… Pense donc à cette femme qui te tyrannise… Tu pourras en faire ton esclave personnel, une fois Reine.

La jeune fille se met à rêvasser. Elle se voit déjà adulée par le peuple qu’elle gouvernerait avec justice, à l’exception de sa mère à qui elle assignerait les corvées les plus dégradantes. Mais pour commencer, elle doit vaincre le Dragon qui doit venir chercher son dû sacrificiel trois jours plus tard.

— Montre-moi ton pouvoir, ordonne Dana.

— Maintenant, tout de suite ?

— Oui.

— Vos désirs sont des ordres, Reine Dana. Prends-moi fermement en main.

L’adolescente attrape la poignée rugueuse et attend.

— Tu es prête ?

Dana n’a pas le temps de répondre. L’extrémité de l’épée s’embrase d’un feu violacé qui remonte le long de la lame, puis passe le visage souriant de Gloire et lèche la main de la jeune fille. Elle veut lâcher la poignée, mais sa main ne lui obéit plus. Ses cheveux se hérisent sur sa tête. Elle s’apprête à pousser un hurlement de douleur quand elle réalise qu’elle ne sent rien. Elle cligne des yeux. Le feu s’enroule autour de son poignet et remonte le long de son bras. La peur laisse le pas à la fascination. Tout à coup, son corps entier s’embrase et elle se sent vibrer d’une énergie folle. En guise de test, elle frappe un petit chêne. Rien ne l’avait préparée à une telle scène. La partie supérieure de l’arbrisseau éclate en esquilles de bois, tandis que la partie inférieure se couche au sol, déracinée par la violence du coup. L’adolescente en reste pétrifiée.

Mais il ne lui faut pas longtemps pour reprendre ses esprits. D’un geste nonchalant, elle empoigne un marronnier séculaire et l’arrache de terre comme elle aurait cueilli une pâquerette. Puis elle le jette à terre où il entraîne de nombreux autres arbres dans sa chute. Grisée par sa force, Dana se recroqueville et bondit dans les airs. Le temps d’un battement de cœur, elle a largement dépassé le faîte des arbres. Elle monte à l’assaut du ciel céruléen. Les collines se déroulent sous ses yeux à l’infini, succession de toutes les nuances de verts de la création, avec des taches brunes, pourpres ou dorées en crevés disparates. Les maisons deviennent minuscules et les villageois à peine reconnaissables. Puis Dana sent sa vitesse diminuer. S’ensuit une chute vertigineuse ; elle se demande un instant si elle va y survivre. Réponse positive. Elle touche le sol un instant plus tard, sans une égratignure. Trop facile. Elle n’en laisse pas moins un cratère inquiétant en témoignage de la violence de l’atterrissage.

La jeune fille s’apprête à bondir de nouveau quand la voix vibrante de Gloire s’élève :

— Quatre, trois, deux, un…

Et tout est fini. Les flammes disparaissent. La force nouvelle de Dana devient un souvenir lancinant. La pouvoir de l’épée de Cent a abandonné la jeune fille.

— Alors, qu’en penses-tu ? demande Gloire d’un air blasé.

— C’est… c’est incroyable !

— N’est-ce pas ? Ton Dragon n’a qu’à bien se tenir. Je te l’avais dit : cent secondes durant lesquelles tu possèdes cent fois ta force… Mais pas une seconde de plus. Par contre, ta petite démonstration n’est pas passée inaperçue…

Effectivement, Dana entend des cris angoissés qui proviennent des habitations.

— Je vais te garder au côté, alors… déclare-t-elle en faisant mine de passer l’épée dans sa ceinture.

— Euh… Je préfèrerais rester cachée une nuit de plus… Vois-tu, je ne puis te conférer mon pouvoir plus d’une fois par jour, et pas plus de cent fois par an… Alors si jamais le Dragon passait par là, je ne voudrais pas qu’il nous rôtisse d’un souffle.

L’adolescente réfléchit un instant, mais les arguments de l’épée ne manquent pas de pertinence. Elle cache de nouveau Gloire dans l’arbre creux, puis, d’un pas décidé, elle retourne à la ferme. Une agitation paniquée règne dans tout le village. Nonchalante, Dana se dirige vers la ferme de ses parents, tandis que tous courent, affolés, vers la salle du conseil pour y interroger les vénérables conseillers qui dirigent le village. La jeune fille décide de ne pas prêter attention à cette effervescence imbécile, d’autant plus que, du coup, elle dispose d’un peu de temps libre chez elle. Elle s’allonge sur sa paillasse et rêve de son avenir. Une heure durant, elle reste seul, mais ce bonheur simple ne devait pas durer. Elle entend les caquètements de sa mère avant d’entendre le pas lourd de son père et des ouvriers.

Dana se lève vivement et entreprend de balayer le sol. Quand sa mère la découvre au milieu de la salle commune, un balai à la main, sa mâchoire semble s’affaisser.

— Tu n’as pas entendu ni vu le présage ?

Un présage, quelle idée !

— Non, et je m’en moque bien. J’ai pris une décision. Je partirai avec le Dragon, après-demain.

Tous les habitants de la ferme font face à la jeune fille et leur air abasourdi la ravit au plus haut point. Elle recommence à balayer. Tous l’observent plus d’une minute sans bouger. L’adolescente va alors à la remise chercher de la lavande. Elle jubile de leur réaction ébahie et se demande ce que ce sera quand elle reviendra avec, en trophée, le crâne du Dragon.

***

Le Jour est enfin venu. La nouvelle selon laquelle Dana s’était Choisie elle-même a déboulé dans le village comme une avalanche. La jeune fille éprouve une grande fierté face aux visages encore interloqués de tous ceux qu’elle rencontre. Elle a revêtu une longue robe blanche sous laquelle se trouve, dissimulée, l’épée Gloire. Et elle attend désormais, seule au milieu de la place centrale. Les Dragons ne sont pas matinaux et ils n’arrivent jamais avant midi. Les villageois se terrent dans leurs maisons, aussi terrifiés qu’au premier jour. Impatiente, Dana attend. Elle voit alors un point sombre dans le ciel sans nuage. Un point noir qui avance très rapidement. Trop rapidement. La jeune fille n’a jamais vu de Dragon, elle est toujours restée cachée lors de ses venues. Sa confiance fond soudain comme neige au soleil. Le point, minuscule, ne cesse de grossir. Le Dragon n’est pas grand, il s’avère immense, prodigieusement énorme. La voix de Gloire s’élève tout à coup :

— Alors, il arrive ?

L’idée d’affronter une telle créature a considérablement perdu de son attrait et Dana répond en croassant, la gorge serrée :

— Oui… Il est gigantesque…

— Ne t’inquiète donc pas. Aie confiance en nous. Nous allons en faire de la chair à pâté.

Des grenouilles se mettent à tressauter dans l’estomac de Dana, comme pour démentir les paroles de l’épée de Cent.

Le Dragon approche à très vive allure, son corps aux allures de lézard porté par de longues ailes de cuir noir. Dana réprime un tremblement. Et soudain, l’ombre de la créature est sur elle, elle occulte le soleil sur toute la surface de la place désertée. D’aussi près, l’adolescente ne peut s’empêcher de remarquer les nombreuses cicatrices du monstre, ni l’aspect grisonnant de sa peau sur son long nez où frémit une langue fourchue. Ce Dragon est très vieux, elle en a la certitude. Il n’en sera que plus facile à abattre. Comme s’il avait lu ses pensées, le lézard volant fond en piqué sur la jeune fille.

Sans perdre un instant, Dana libère son arme et la brandit vers le Dragon. Un sifflement strident accueille avec hargne son défi. Déjà, les flammes enveloppent son poignet. D’un coup, elle s’enflamme. La force jaillit dans ses veines. Frissonnante d’extase, Dana bondit, Gloire pointée en avant vers le thorax du monstre. Malgré sa vision brouillée par la vitesse, la jeune fille perçoit le doute, puis la terreur dans les yeux du Dragon. Il cherche à reprendre de l’altitude pour éviter ce moucheron plus courageux et potentiellement plus dangereux que les autres. Il n’est pas assez rapide. Dana lui passe à travers le corps et retombe sur son dos. Les ailes battent frénétiquement l’air. Soudain, elles se tendent et s’immobilisent. Le Dragon chute lourdement.

Trop facile, songe Dana. C’est alors qu’elle entend Gloire égrener les secondes.

— Dix… Neuf…

Les entrailles de l’adolescente se liquéfient. Le sol approche très vite, mais pas assez pour qu’elle le touche avant de perdre ses pouvoirs. Elle saute du dos du monstre et ferme les yeux.

— Trois… Deux…

Dana touche terre avec un épais nuage de poussière et creuse un trou profond de trois ou quatre toises.

— Un.

Aussitôt, l’énergie fabuleuse qui l’animait disparaît. L’instant qui suit, le sol tremble dans un fracas assourdissant. La jeune fille chancelle et doit se retenir aux parois. Tout s’immobilise alors. Le silence s’impose.

— On fait quoi, maintenant ? demande l’adolescente à l’épée.

— Moi, je ne peux pas faire grand chose de plus.

— Merci…

***

Les villageois ne vinrent jamais libérer la jeune fille du fond de sa fosse. Elle eut beau crier, pleurer, hurler de rage et de frustration toute la nuit, rien n’y fit : personne n’osa ne serait-ce qu’approcher du cratère. Elle dût attendre le lendemain pour faire appel au pouvoir de Gloire et sortir de son trou. Heureusement pour les villageois, cent secondes lui furent insuffisantes pour raser le village, elle se contenta d’une bonne moitié.

Devant son courroux, sa famille, ses anciens voisins, compagnons, amis et proches, se prosternèrent à ses pieds. Dana ne savait si c’était le signe d’une gratitude débordante ou d’une frayeur maladive, mais toujours est-il qu’après un long discours – soufflé discrètement par l’épée volubile – tous l’acceptèrent pour Reine. La jeune fille n’en revient toujours pas des inepties qu’elle a déblatéré sur les conseils de l’épée : « vous êtes mon Peuple, je vous aime et vous chérirai envers et contre tout » ; « Ce n’est pas la fin. Ce n’est même pas le commencement de la fin. Mais, c’est peut-être la fin du commencement » ; « la route est droite mais la pente est rude ». Tout un fatras de mots qui n’avaient aucun sens pour Dana mais qui ont transformé ceux qui l’écoutait en sujets. Dana apprécie tout particulièrement de voir sa mère assignée aux travaux les plus salissants et les plus pénibles.

Toutefois, Dana commence à douter. Les habitants lui construisent un somptueux château, et de nombreux serviteurs se chargent de toutes les corvées, pour assurer à la Reine sérénité et quiétude. Bref, elle pensait pouvoir profiter de cette oisiveté qu’elle affectionne tant. Sauf qu’ils lui demandent son avis sur tout. Gloire la réveille aux aurores pour qu’elle puisse recevoir toutes les doléances de ses sujets. C’est l’épée qui suggère la plupart des décisions, tant Dana ne saisit rien des implications. Tel un pantin, elle se contente d’aller d’audience en audience, de visite en visite. Et de Dragon en Dragon.

Car les immondes créatures n’ont pas apprécié la mise à mort de leur aîné : ils persistent à envoyer des émissaires pour traiter avec la Reine Dana. Elle en est au cinquième Dragon occis. A chaque fois, c’est du boulot et du stress, tout ça pour une poignée de villageois hypocrites et peureux. La jeune fille ne rêve que d’une chose : une bonne grasse matinée. Alors même qu’elle visite le chantier de son futur château, accompagnée par les paroles volubiles de Gloire, Dana s’arrête devant le haut-fourneau. L’épée ne cesse de lui lister tout ce qui lui reste à faire, toutes les décisions qui ne peuvent attendre, toutes les réceptions qu’elle ne peut manquer. Gloire ne se rend même pas compte que Dana s’est arrêtée. La Reine dégaine son arme.

— Oui, ma Reine ?

— Vous me saoulez tous.

Et elle jette l’épée dans le haut fourneau. Demain, la Reine Dana fera la grasse matinée, et advienne que pourra….

FIN


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Bonnes lectures !

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