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Un méconte de Noël – nouvelle fantastique

Maurice ouvre les yeux quand il entend les policiers s’agiter. La lumière crue du plafonnier le fait pleurer, et le marteau-piqueur de l’alcool abusé vient heurter sa boîte crânienne. La porte de sa cellule de garde-à-vue s’ouvre : deux agents encadrent un bonhomme âgé et bedonnant, à la longue barbe blanche en broussailles et aux vêtements rouges fourrés de blanc, tachés et déchirés. Le détenu a les mains menottées, et un hématome orne sa joue gauche. L’homme est libéré de ses entraves et projeté en avant, il manque s’affaler par terre et c’est Maurice qui le rattrape au vol, avant de l’aider à s’asseoir sur la dure couchette.

Aussitôt, son nouveau compagnon se jette sur la porte et tambourine. En vain.

— T’as fait quoi, toi ?

Le bonhomme se retourne, l’air désemparé.

— Mais rien du tout ! Je ne faisais que mon travail…

— Ouais, ouais, moi non plus, j’ai rien fait. Non non, j’étais pas ivre sur la voie publique le soir de Noël…

Une heure plus tôt…

Kévin surveille la route obscure qui mène vers la frontière suisse. Il fait un froid glacial, la neige recouvre tout, et dans la nuit, tout en devient gris sale. Kévin  aime les plages des Landes et le soleil, pas les montagnes déprimantes et gelées. Sans compter, qu’ici, il ne connaît personne – à part ses collègues policiers – et qu’il est célibataire. Le reconfinement, il aurait pu très bien le vivre. D’une part, il ne s’intéresse pas beaucoup aux autres, donc ne voir personne n’est pas pour lui déplaire. D’autre part, cela lui donne un pouvoir considérable sur les gogoles, l’occasion de valoriser son égo fragilisé par une mère castratrice. Le seul bémol : il est célibataire depuis peu, sa copine l’a largué après lui avoir balancé qu’il était un vrai connard – ce qui n’est pas faux… – et c’est dur de faire des rencontres, voire plus si affinités. Ou pas.

Soudain, Kévin entend un bruit de clochettes. Il tape du pied pour se réchauffer les orteils, et dans le même temps, il sent une chaude vague de plaisir anticipé l’envahir. Ce gogole-là, il ne va pas le louper. Un instant après, il voit arriver un traîneau illuminé de guirlandes et tiré par des cerfs. Ou des gnous, il ne voit pas trop la différence. A la commande, un vieillard habillé en Père Noël freine son attelage en criant un « HO HO HO ». « Ho ho ho toi-même, abruti », pense Kévin.

— Halte-là ! fait le jeune policier.

Le vieil homme obtempère et lui dédie un immense sourire derrière sa barbe blanche immaculée.

— Bonjour Kévin, que puis-je faire pour toi ?

Le con ! Il le connaît et le tutoie. Sauf que le policier ne connaît personne ici. Pas grave, on lui a dit à l’école de rester froid et professionnel, même s’il devait arrêter sa propre mère – ce qu’il rêverait secrètement de faire.

— Monsieur, un peu de respect, nous n’avons pas élevé les cochons ensemble. Vous ne portez pas le masque. Cela vous fera 135 € d’amende. Votre attestation, s’il-vous-plaît.

— Amende ? Mon attestation ? Quelle attestation ?

— Monsieur, votre attestation couvre-feu tout de suite, ou je serai au regret de vous dresser une seconde amende de 135 €.

Intérieurement, Kévin jubile. Il a décroché le pompon.

— HO HO HO, Kévin, tu as été méchant toute l’année, et maintenant, tu continues à abuser de ton autorité…

Non seulement le vieux n’a ni masque, ni attestation, il continue de le tutoyer et en plus, il frôle l’insulte. Allez, c’est bon, encore un peu et il y a outrage à agent. Kévin décroche sa matraque et la frappe en rythme dans le creux de sa main gauche. L’effet menaçant ne semble pas affecter son interlocuteur qui n’a pas perdu son sourire. Tu vas voir, tu vas le perdre ton sourire de crétin.

— Votre attestation, Monsieur.

— Mais je suis le Père Noël !

— Et moi la Mère Michel, et j’ai perdu ma chatte…

Les sourcils du vieux se froncent, le sourire s’efface. Kévin jubile.

— Et où vous allez, Monsieur ? En Suisse ?

— Oui…

— C’est interdit.

— Mais pourquoi ?

— Pas le droit.

— Pas le droit de ?

— Skier. Le grand patron a dit : « pas de ski en Suisse ».

— Mais j’y vais pour travailler…

— Avec un traîneau ? Ça pue les sports d’hiver, ça, et c’est interdit. Le traîneau, c’est comme du ski.

— Mais je n’utilise pas les remontées mécaniques.

— Vous avez les attestations sanitaires pour vos gnous ?

Les yeux du bonhomme s’écarquillent et il se penche alors vers le siège passager. Le sang du jeune policier ne fait qu’un tour : il attrape son arme de service et vise le criminel.

— Stop, tu bouges pas, tu restes calme et tu sors de ton traîneau, les mains en l’air ! Allez, bordel de merde, tu sors de là tout doucement !

Le vieux continue de fouiller dans ses affaires et Kévin a un réflexe : il frappe avec la crosse de son arme, de peur que l’autre ne dégotte un pistolet et ne lui tire dessus. L’effet est satisfaisant, le bonhomme se vautre dans son siège, sonné. Abruti de crétin.

Quelques heures plus tard…

La petite Camille, cinq ans, surveille le sapin familial à la décoration rouge et blanche. Une montagne de cadeaux devrait en cacher le pied : le petit Jésus est né, le Père Noël aurait dû déjà être passé. Ce n’est pas faute d’avoir demandé à ses parents de ne pas allumer de feu dans la cheminée, et elle avait même laissé quelques gâteaux à la cannelle sur la table basse pour que le vieux bonhomme ne meurt pas de faim. Le petit cœur de Camille menace de se briser et elle sent des sanglots gonfler dans sa petite poitrine.

Dans la cuisine, ses parents écoutent VDM TV et un présentateur – barbant, de l’avis de la petite fille – parle de confinement, de couvre-feu et d’attestation.

— Priorité au direct ! De source bien informée, nous apprenons que le Père Noël ne pourra pas passer dans les foyers en cette fin d’année 2020. Il aurait agressé un policier dans l’exercice de ses fonctions la nuit dernière, près de la frontière franco-suisse.

« Le policier procédait à un contrôle des attestations de couvre-feu et le Père Noël, semble-t-il, ne portait pas de masque et ne disposait pas d’attestation. Invité à régulariser sa situation, il se serait énervé et aurait agressé le policier. Le Père Noël a été maîtrisé, puis placé en garde à vue avant d’être placé en détention provisoire ce matin même. Il sera jugé en comparution immédiate demain, poursuivi pour « violence sur une personne dépositaire de l’autorité publique ». Etonnante année que 2020 !

FIN


Vous avez apprécié cette nouvelle de Noël grinçante ? Vous voulez lire d’autres écrits de ma part qui traitent de confinement et de toutes ses conséquences ?

Vous pouvez alors lire cette nouvelle L’Enfer est pavé de bonnes intentions ou encore celle-ci Les Mites de la Réalité, ou bien vous pouvez aussi lire mon thriller d’anticipation AAA que de très nombreux lecteurs trouveront au pied de leur sapin pour Noël ! 😉

Bonnes lectures !

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